Animateur, comédien et producteur, Charles Lafortune est aussi la voix d’une cause qui touche de plus en plus de familles au Québec, incluant la sienne. En ce mois de l’autisme, l’animateur et père d'un jeune autiste nous invite à passer à l'action. Après la sensibilisation, place à l’inclusion.
En janvier dernier, la grande famille de la Chambre de commerce et de l'industrie de Laval s'est rassemblée au Centre de congrès Palace pour discuter d’un enjeu d'actualité : l’embauche des personnes autistes en entreprise. L'objectif ? Découvrir comment mettre fin à l'exclusion, et bénéficier du potentiel encore inexploité des travailleurs autistes. Personnellement impliqué dans cette cause, Charles Lafortune a animé avec énergie cette rencontre mettant en vedette Randy Lewis, vice-président de la division logistique chez Walgreens qui emploie actuellement plus de 900 employés en situation de handicap dans ses centres de distribution. Randy Lewis et Charles Lafortune ont un point commun : ils sont tous les deux le père d’un jeune homme touché par le spectre de l’autisme.L’animateur de La Voix était donc heureux de prendre part à cet événement qu’il considère très important : « Il n'y a pas de conférence comme celle-ci dans le paysage québécois où on a un Randy Lewis qui nous propose un programme d'intégration de personnes handicapées dans une grande entreprise. Il faut faire ça de la bonne façon, les intégrer de manière à ce qu’ils puissent réussir, vivre des petites victoires tous les jours. Il faut trouver un travail dans lequel leur talent spécifique est mis en valeur pour aider l’entreprise. Tout le monde y gagne ».C'est à l'âge de deux ans que Mathis, le fils de Charles Lafortune, reçoit son diagnostic. Il est d’abord observé par une audiologiste, mais la réalité devient de plus en plus évidente au fil des différents examens : « Il ne se retournait pas vers nous quand on l'appelait, donc on a fait des tests en audiologie pour voir s'il était sourd. Quand l'audiologiste nous a dit : "Il entend très bien", je me souviens en voyant son visage que ce n'était pas une bonne nouvelle. Généralement, tu le sais, tu t'en doutes, mais tu ne veux pas l'entendre, au début. »Aujourd’hui âgé de 15 ans, Mathis fréquente l’école À pas de géant. Charles Lafortune devient porte-parole de cette école adaptée aux personnes atteintes d’autisme dès que son fils y fait son entrée : « Je suis chanceux. Je gagne bien ma vie, j'ai un métier qui me permet d'avoir un horaire organisé et de revendiquer des choses, de parler d'un sujet que je connais. Le public québécois du côté francophone sait que mon fils est autiste et les gens vont avoir un certain respect. Alors que d'autres parents d'enfants autistes, eux, entrent dans un restaurant et on leur dit que leur enfant est mal élevé parce qu'il fait du bruit ».Si certains préjugés perdurent, Charles Lafortune souligne toutefois les améliorations dans les ressources et services aux familles d’enfants autistes : « C'est vraiment bien qu'on ait permis à des familles d’avoir accès au divertissement, explique-t-il. Par exemple, il y a des cinémas qui offrent des séances pour les autistes, ce qui fait que les personnes dans la salle sont au courant et que si quelqu’un crie pendant le film, on n'est pas étonné ou surpris ».L’animateur de La Voix mentionne d'ailleurs la vision novatrice de Laval, la première ville au Québec à s'adapter concrètement à la réalité des autistes et de leur famille. Les intervenants d’urgence, par exemple, y sont formés pour agir adéquatement dans une situation impliquant une personne autiste : « On peut inscrire sur une liste, de manière volontaire, les gens qui vivent avec l’autisme. Ça fait en sorte que les policiers savent que si une personne crie dans la rue, elle n’est pas sous l’effet de l'alcool ou de la drogue, par exemple, et ils peuvent faire une intervention adaptée. Même chose pour les pompiers. Ils peuvent savoir que dans telle maison, il y a une personne autiste et que s’il y a un incendie, cette personne-là ne comprendra peut-être pas les indications et ne pourra pas sortir. C’est très bien pour la sécurité », souligne Charles Lafortune.Au-delà de cette ouverture positive, il reste du travail au Québec. Selon M. Lafortune, il faut maintenant passer à des actions concrètes et que d'autres villes suivent l'exemple de Laval dans l'inclusion des personnes autistes et la création de ressources : « Il faut que les municipalités s'impliquent. C’est beau d'illuminer l’hôtel de ville en bleu (la couleur symbolisant la cause de l'autisme) au mois d’avril, mais à part ça, il y a plein de choses à faire. »Les parents d'enfants autistes vivent de grands défis lorsque celui-ci sort de l'adolescence. C'est d'ailleurs une préoccupation de Charles Lafortune, dont le fils se rapproche de l'âge adulte : « En ce moment, il n’y a pas de transition entre le milieu scolaire et le moment où l’enfant atteint l’âge adulte. Il y a des programmes qui vont jusqu’à 21 ans, mais après ça, ils sont rejetés à la vie. Et ils ne deviennent pas "moins autistes" en grandissant », explique l'animateur. Le domaine de la santé en est un bon exemple. Des visites médicales qui nous semblent banales peuvent représenter une expérience complètement différente pour une personne autiste. M. Lafortune nous explique que son fils Mathis, par exemple, doit être anesthésié lors de ses examens dentaires : « On ne peut pas jouer dans la bouche, il va se débattre. Il faut donc l'endormir. Pour l’instant, ça se passe à Ste-Justine, parce qu’il a 15 ans. Le médecin nous a prévenus : il faut enlever ses dents de sagesse avant 18 ans parce qu'après, Mathis devra aller dans le système régulier et ça va devenir hyper compliqué. Comme parent, on ne comprend pas pourquoi le "hyper compliqué" arrive. Pourquoi n'y a-t-il pas de suivi dans un dossier adulte ? »Si la société a des efforts à faire en terme d'inclusion, il demeure toutefois possible de poser des petits gestes quotidiens concrets pour appuyer les personnes autistes. Charles Lafortune nous encourage à échanger, à dialoguer : « N'ayez pas peur de nous parler, poser des questions, tendre la main. Il ne faut pas être mal à aise : parlez à la personne autiste. Des fois, on me parle de mon fils alors qu'il est juste à côté de moi. Vous pouvez lui parler. Il ne va peut-être pas vous regarder dans les yeux, mais il comprend ». Selon l'animateur, cet esprit d'ouverture est aussi une clé pour vaincre l'isolement que vivent les parents d'enfants autistes. Pas toujours facile de développer des liens entre parents lorsque notre enfant ne joue pas avec les autres au parc, ne pratique pas un sport ou une activité parascolaire, comme l'explique M. Lafortune : « C'est sûr que ça isole, et les parents se retournent sur eux-mêmes. Ça fait qu'on vit un peu en dehors du monde. »De son côté, étant une personnalité publique, Charles Lafortune n'hésite pas à ouvrir le dialogue avec les familles d'enfants neurotypiques et voit la vie positivement. La résilience est une valeur importante pour sa conjointe et lui, mais le rire fait aussi partie de l'attirail de l'animateur : « L’humour aide beaucoup. Des fois, je fais des jokes en lien avec notre situation. Ça peut provoquer des petits malaises, mais les malaises n'appartiennent pas à Martin Matte (rires). Le rire et l'humour aident à relativiser les choses », explique celui qui a d'ailleurs présenté un monologue à Juste pour rire sur cette idée reçue voulant que tous les autistes aient un don surhumain. Mathis a bel et bien un talent particulier et il ne manque pas d'impressionner son entourage avec sa mémoire photographique. Son père lui souhaite cependant, avec le soutien adéquat, de pouvoir communiquer davantage : « Pas nécessairement pour nous, explique Charles Lafortune, mais on espère que pour lui, il puisse s'exprimer plus. Des fois, je sens qu'il voudrait pouvoir communiquer pour obtenir ce qu'il veut. Vivre avec un mot sur le bout de la langue toute ta vie, c'est très frustrant. »Malgré les défis, l'animateur de La Voix reste positif et les pistes vers une société plus inclusive sont encourageantes : « Il faut trouver des intérêts aux jeunes autistes pour qu'ils puissent se développer. L'important, je crois, c'est que la personne autiste puisse avoir une vie où elle est intégrée dans la société, où elle se sent désirée et importante », conclut-il. Comme le dit sa conjointe, la comédienne Sophie Prégent : « Un autiste ne prendra peut-être jamais l'autoroute, mais ce serait le fun qu'il puisse rouler sur la voie de service ».
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